Madame la Ministre, nous avons besoin de mots clairs

Le malheur du monde se trouve tragiquement accru par l’attaque ignoble qui a frappé Salman Rushdie. Pourquoi donc y ajouter le fait de si mal nommer de quoi cet esprit libre est aujourd’hui la victime expiatoire ? Ce n’est pas n’importe quelle idéologie qui vient de s’en prendre à sa vie : il s’agit de l’islamisme. Ce n’est pas n’importe quel combat pour la liberté d’expression que celui qui nous oppose à l’islamisme et à sa barbarie rétrograde. C’est un combat contre une idéologie dont les victimes se comptent par milliers et qui frappe mortellement, en priorité les musulmans, les femmes, ainsi que les intellectuels, les artistes et les hommes libres. Nous revient dès lors une mission d’éveil et de résistance de premier rang. Entretenir ces fragiles foyers est du ressort d’un pays qui se prévaut d’incarner aux yeux du monde la liberté d’expression et de création.

Mais comment croire pleinement en une défense de la liberté d’expression quand les mots employés pour cette défense peinent à exprimer le réel, à nommer les choses de leur vrai nom ? Un tel combat ne saurait se payer de mots. Face aux attaques qui visent les figures les plus emblématiques de l’humanisme, le politiquement correct ne peut s’avérer que contre-productif et constitue un renoncement qui ne devrait avoir aucune place. Car c’est dans le monde terrifiant d’Orwell que l’on se contente de condamner « la haine », « la tyrannie », de manière vague et sans les définir. Défendre la liberté d’expression ne saurait se limiter à ces généralités de forme, car la liberté d’expression a besoin de mots précis pour s’exercer. Il n’y a plus de liberté d’expression dans un monde où l’on ne sait plus ce dont on parle. Et même si ce n’est pas l’intention, toutes ces déclarations vagues et flottantes semblent ignorer que ce qui est ici mortellement ciblé est plus que la liberté d’expression, c’est la liberté d’expression de ceux qui la protègent et la défendent, c’est donc sa condition même.

Ce drame ne s’est pas déroulé sur notre sol, mais faut-il rappeler avec quels courage et détermination Salman Rushdie se fit à travers le monde le porte-parole de Charlie Hebdo dont la rédaction venait d’être décimée ? On oublie aussi trop vite que la fatwa qui vise les Versets sataniques a déjà été responsable de dizaines de morts à travers le monde, en premier lieu des éditeurs et des traducteurs de ce texte récemment qualifié de « controversé » sur les antennes du service public. Madame la Ministre, nous voulons vous dire qu’il semble très loin le temps où les théâtres, les musées et les salles de concert françaises faisaient cause commune en affichant de grandes bannières « Je suis Charlie ». Les fières banderoles de jadis ont depuis longtemps été rangées dans des armoires où elles prennent la poussière. Cette disparition a trop souvent laissé place à des slogans et des discours qui trahissent leur mémoire.

Madame la Ministre, nous ne doutons nullement de votre attachement aux valeurs humanistes et universalistes, et nous attendons que votre tweet trouve son nécessaire complément dans des politiques culturelles courageuses. Et pour cela, nous avons désormais besoin de mots clairs.

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