Olivier Faure, qui dit quand même de plus en plus souvent des bêtises même si son élection face à Mayer Rossignol reste une bénédiction, a récemment tweeté que la « méritocratie serait un mythe ».
Il donne ainsi du crédit à une sorte de rumeur intellectuelle paresseuse et populiste, qui court depuis le best seller américain « The meritocraty trap », de Daniel Marcovits, qui a été un peu trop vite récupéré par la presse rouge-brun française, et qui a joué sur une syllepse volontaire: car la méritocratie anglo-saxone, protestante, exclut tout contexte de service public. Elle repose sur l’ancienne croyance luthérienne que les gagnants, gagnants sociaux, gagnants économiques, mériteraient « transcendalement » (de droit divin, pour simplifier) de gagner, et que leur « gagne » serait le reflet du meilleur des mondes possibles – ce que les Lumières françaises (uniquement les Lumières françaises) remettront en question.
Cet espèce de transcendantalisme du mérite s’inverse (et donc se perpétue) dans la discrimination positive, qui n’en est que l’inversion pénitente.
La méritocratie française se fonde à partir d’un cadre moins immédiat, moins transcendant, mais plus politique et complexe, qui n’a rien à voir avec le sens anglo-saxon de méritocratie : elle acte des inégalités de départ (sociales, sexuelles, géographiques) et n’entend pas les réparer intégralement, encore moins aboutir à une inversion-carnavalisation. Elle part du du principe d’intérêt général fondateur du service public qui est une sorte de « minimum syndical » dû à tout citoyen.
Autrement dit, malgré les inégalités de départ, chacun doit recevoir un bagage essentiel de départ, ce bagage minimum censé être, en qualité, égal pour tous au départ, doit constituer l’essentiel des acquis non pas pour constituer un homme libre, mais pour rendre possible à chaque individu l’acquisition d’une liberté de penser, d’agir, de créer et d’aimer: laïcité, humanisme, universalisme, liberté, égalité, fraternité.
Cette méritocratie, non transcendantale mais politique, non intégrale mais potentialisante, consiste ainsi à reconnaître le mérite d’individus qui à partir de ce minimum donné parviennent à l’émancipation. Elle mesure donc l’amplitude d’un effort fourni et n’est donc sensible ni à la race, ni au sexe , ni à l’origine spécifiquement, mais à une amplitude, forcément différente pour chacun.
Ce qui présuppose plusieurs choses (avec des problèmes inhérents):
– que les fondamentaux soient égaux pour tous et fermement établis: et qu’il ne se fasse pas de différence à ce niveau, sans quoi on retombe dans le modèle transcendantaliste de l’élection et de la « stochocratie » (démocratie du hasard).
– que la prise en compte des difficultés liées aux discriminations ethniques, sexuelles, géographiques vienne après ce fondamental que l’Etat est censé garantir : ce qui signifie que l’Etat doit le garantir, oui, mais aussi que les citoyens acceptent cette garantie.
– que le système d’évaluation méritocratique non-transcendantal est une forme immanente d’auto-validation d’une communauté politique (autonomie vs hétéronomie), ce qui invalide toute « discrimination positive ». Car la discrimination positive est une reconnaissance des défaillances voire de l’invalidité d’un système politique, ce qui tend forcément vers le transcendantalisme religieux : rétablissement du vrai et du juste, mais sans définition de ce vrai et de ce juste par le système lui-même, qui s’autoqualifie d’injuste et d’invalide.
– que l’évaluation, dans des démocraties de droit public comme la France (nous sommes très peu au monde) soit extrêmement rigoureuse du point de vue de l’évaluation des parcours méritocratiques, et garantissent une très grande probité dans l’attribution des postes en fonction des mérites. C’est un des immenses problèmes: par exemple, à l’université, l’évaluation des mérites est bien plus honnête à l’étranger qu’en France, où justement, elle devrait être exemplaire et supérieure aux autres pays, du fait de son régime de droit public.
Quand on est dans un pays de droit public (non transcendantaliste du point de vue du mérite, donc) mais qui ne parvient plus à distinguer ses « méritants », alors même que c’est précisément sa colonne vertébrale sociale et politique, c’est la porte ouverte pour le populisme: c’est une des raisons de la haine des élites en France – et conséquemment de la montée des extrêmes.
IB