Imaginez que vous assistiez à un colloque professionnel réunissant des artistes, des programmateurs, des administrateurs culturels et des spécialistes de la culture – un de ces hauts-lieux, chaperonnés par de hauts-fonctionnaires, où se préfigurent, d’en haut, les orientations du service public culturel de demain. Bref, vous voilà en hauteur, et vous vous attendez donc à ce que l’on défende les œuvres, les artistes, la liberté artistique, que des mots tels que « service public », « intérêt général » soient – peut-être – prononcés. Doux rêveur que vous êtes !
Dès l’ouverture, la réunion tourne au procès, procès des œuvres qui ne passent pas le bon message, procès de l’auditoire (insuffisamment « coloré ») qui ne corrige pas assez ses biais « autoreproductifs », et même procès de l’ « inconscient » raciste, sexiste et dominant du monde de l’art. La petite cérémonie masochiste était donc bien partie lorsque vint le tour de parole de Bérénice Hamidi. L’universitaire a décidé depuis peu de se présenter comme « sociologue », un peu comme on changerait de garde-robe ou de déco de salle de bains. Forte de sa tribune officielle, elle entend nous expliquer comment sauver la culture et le spectacle vivant, en opérant une « prise de pouvoir », pour « lutter contre la barbarie ». Barbarie qu’elle ne voit nullement du côté des ligues identitaires, qu’en 2019 elle a éloquemment soutenues contre Philippe Brunet (Les Suppliantes), Ariane Mnouchkine ou Robert Lepage (Kanata). Les propos de ces ligues, aux forts relents antisémites et racistes, n’entreraient pas dans la case « barbarie ».
Non. La barbarie, c’est « l’impensé réactionnaire » et le sexisme structurel – sexisme qui selon Hamidi serait aussi une autre forme de racisme. Et vicéversa, comme dit la chanson. Comme dit une autre chanson où, pour faire sortir biquette de son chou, on envoie chercher le chien, puis le loup, puis le chasseur, le feu, l’eau et enfin le Diable en personne, Hamidi entend remonter à l’Origine du Mal pour éradiquer… Eradiquer quoi, on ne sait plus très bien si c’est le sexisme, le racisme, l’impensé réactionnaire, la barbarie, disons donc : le Mal. Ou le Système. En réalité, n’importe quel mot pourrait faire l’affaire : chou, hibou, pou, joujou, truc, ça marche aussi.
Bref pour détruire le Mal, Hamidi propose une solution diabolique : en finir avec les notions d’œuvre, de création et de talent. Une solution radicale mais nécessaire comparable selon elle à l’imposition de l’écriture inclusive qui s’attaque elle aussi à la « forme officielle ». La Sociologue se lance alors dans une docte justification de la censure des lobbys identitaires, au nom de leur liberté d’expression. Car oui, la censure, c’est la liberté ! Et la création, c’est bien entendu l’oppression : elle s’appuie sur la nouvelle notion de droits culturels pour opposer liberté d’expression à liberté de création, et puis « la liberté de création ça ne veut rien dire, ça ne concerne qu’une catégorie de la population ». Allez hop biquette, dans les choux, la liberté de création.
Autre notion à abattre : l’altérité. Vous pensiez à tort détenir, dans le monde inclusif, un droit à la différence. Erreur de sociologue débutant. L’altérité est un autre mot qui dérange selon Hamidi. Tout doit être nivelé, formaté, calibré pour faire partie du brave new world pacifié. Dernier mot à abattre, qui ne surprendra pas grand monde : l’universel car « le nous, c’est celui des hommes cis blancs, c’est un nous qui prétend parler au nom de l’universel, mais sous condition ». Nous y voilà.
Pour faire sortir biquette de son chou, et le racisme-sexisme-Mal du monde de l’art, il faut s’attaquer à l’univers. Pardon à l’universel. Voilà les raisonnements très mécaniques qui conduisent désormais certains Bienfaiteurs à défendre la censure au nom de la démocratie. Le talent, les œuvres, l’universel, l’altérité, c’est tellement surfait… Pour Madame Hamidi, afin que les femmes aient accès à la culture, il faut éradiquer le talent – une dangereuse construction sociale, et l’art. Merci madame la Sociologue pour votre aide à la cause féministe!
Colloque du SYNDEAC « Des inégalités spectaculaires », 23 janvier 2022, Paris