Nous retranscrivons cette tribune de Culture et universalisme, avec sa liste de signataires, parue récemment sur le site du Monde.fr
Nous, artistes et acteurs du secteur culturel, tenons à lancer une alerte concernant la marginalisation des enjeux des arts et de la culture dans une campagne électorale qui a rendu spectaculaire l’incapacité politique à insuffler du sens aux politiques culturelles.
Nous pouvons sans complexe nous poser la question : existe-t-il encore une politique culturelle en France, ou même un désir de politique culturelle ?
Omniprésente, l’extrême-droite ne propose rien d’autre que le remplacement de la culture et de la création par un culte frelaté du passé, la réduction de la culture à un protectionnisme maladif, où domine non pas l’esprit de rencontre mais celui du « choc des civilisations »
Le peu de fois où le sujet est abordé dans les programmes, c’est de façon le plus souvent quantitative : toujours plus de numérique, plus de public, plus d’établissements, d’évènements… Mais quelle vision sous-tendent tous ces chiffres ? Telle est la vraie question. Un tel vide installe la désagréable sensation qu’il s’agirait d’abandonner l’art et la culture aux lois du marché, au divertissement, et peut-être aussi aux effets pervers de la Covid (culture à distance, représentations ou diffusion sur les plateformes), dans le secteur du cinéma mais aussi dans l’édition, dans l’audiovisuel… Dans le domaine de l’enseignement (musical, par exemple), beaucoup de conservatoires se voient évacués des structures nationales, renvoyés aux collectivités locales, bientôt au privé ?
Ce vide donne l’impression que le service public (comme ailleurs) se désengage, quand il ne se vassalise pas par rapport à des lobbys, souvent identitaires, pratiquant l’intimidation et la censure a priori, et qui semblent avoir pris le dessus sur toute vision d’intérêt général. De nouvelles pressions déplacent l’exigence artistique vers des conceptions consuméristes, prédigérées, régressives. Pourtant, si « avec la culture on ne mange pas… la culture ne se mange pas », écrivait Dario Fo !
Et ces nouveaux critères tacites s’installent insidieusement dans nos têtes, voire dans certaines institutions culturelles. Il n’y a qu’à consulter les dossiers de demandes de subvention, où règnent à ce sujet le quantitatif et la déclaration d’intention.
Longtemps, on a cru qu’on pouvait s’adresser au ministère pour aider à promouvoir des spectacles ou des œuvres de création, d’expérimentation, de recherche, de dépassement. C’est de moins en moins vrai, tant aux principes qui avaient été développés et mis en œuvre dans notre pays jusqu’à il y a quelques années s’est substituée une forme de navigation à vue, de repli et de « pas de vagues ».
Bien sûr, ces créations nouvelles, modernes, ne sont pas toujours les plus rentables, mais justement, c’est le rôle du service public de les défendre. Si l’on compte sur le courage des programmations pour le faire, on risque d’être déçu.
Il ne s’agit évidemment pas de créer un « art officiel », mais d’aider un art authentique, c’est-à-dire qui cherche, qui bouscule, qui change les lignes, qui imagine vers l’avant, qui promeut le partage et la découverte plutôt que l’anathème. Beaucoup de jeunes artistes se sentent en ce moment très seuls.
Créons les conditions du développement d’un art libre qui est là où on ne l’attend pas. Redonnons un contenu à la création, un élan à la découverte de territoires artistiques vierges, tout en défendant les œuvres du passé contre la vindicte de la culture de l’effacement et du bannissement. Résistons à la commercialisation de l’art, sans être nostalgiques. L’art résistera toujours, car il est inscrit en l’homme. Le véritable artiste ne fera jamais ce qu’on lui demande de faire, ou ce que « l’officialité » quelle qu’elle soit lui demande de faire.
Nurith Aviv, réalisatrice
Isabelle Barbéris, universitaire, dramaturge
Abraham Bengio, Président de la commission Culture de la LICRA
Charles Berling, acteur et metteur en scène
Irène Bourdat, soprano, comédienne et universitaire
Xavier Bussy, compositeur
Morena Campani, réalisatrice
Belinda Cannone, écrivain, universitaire
Elise Capdenat, scénographe
Christophe Carrière, journaliste, auteur
John Caroll, éclairagiste scénographe
Patrice Caurier, metteur en scène
Serge Castelli, régisseur de spectacle vivant
Christiane Cohendy, comédienne
Claude Coste, universitaire
Serge Coste, professeur de conservatoire
David Christoffel, artiste, chercheur
Sylvie Debrun, comédienne
Anne Deschaintres, costumière
Muriel Delamotte, scénographe, designer costumes, enseignante
Jean-Philippe Domecq, écrivain, peintre
Olivier Dhénin, metteur en scène, écrivain
Camille Dugas, scénographe
Pascal Dumay, pianiste
Frédéric Durieux, compositeur
Jean-Max Dussert, clarinettiste
Véronique Fèvre, clarinettiste
Nathalie Feyt, comédienne, assistante à la mise en scène et professeur de théâtre
Christophe Fiat, écrivain, metteur en scène
Ami Flammer, violoniste, professeur au CNSMDP
François Frimat, philosophe, président du Festival Latitudes contemporaines
Gérald Garutti, écrivain et metteur en scène
Aline Girard, conservatrice générale des bibliothèques
Françoise Gomez, inspectrice d’académie honoraire Lettres-Théâtre, APTAR
Simonetta Greggio, romancière
Gérald Grünberg, comité français du programme Unesco Mémoire du monde
Marc Hajjar, chef d’orchestre
Frédéric Laroque, violon-solo de l’opéra national de Paris
Marie Le Garrec, chef décoratrice, chef costumière
Moshe Leiser, Metteur en scène
Éric Laugerias, comédien et metteur en scène
Antoine Leperlier, sculpteur
Anna Marcuzzi, directrice de médiathèques
Jean-Louis Martinelli, metteur en scène
Jean-Yves Masson, écrivain, éditeur, traducteur, universitaire
Michel Masson, peintre, sculpteur
Fabienne Maître, professeure
Marie-Madeleine Mervant-Roux, directrice de recherche émérite au CNRS
Jean-Marc Mojica, avocat
Philippe Morier-Genoud, acteur
Franck Neveu, Professeur des universités
Xavier North, Inspecteur général des affaires culturelles
Jacques Osinski, metteur en scène
Jean-Claude Pennetier, pianiste
Béatrice Picon-Vallin, directrice de recherche émérite au CNRS
Catherine Pietri, comédienne
Kledis Rexho, violoniste
Christian Robin, auteur, enseignant-chercheur à la retraite
Elie Semoun, humoriste, acteur, réalisateur
Jean-Pierre Sakoun, éditeur numérique
Benjamin Sire, compositeur, journaliste
Laurent Spielmann, directeur d’opéra, directeur artistique
Géraldine Sroussi, réalisatrice
Véronique Taquin, réalisatrice, écrivain, enseignante
Chantal Thomas, scénographe pour le théâtre et l’opéra
Jean-Claude van Dam, Conservateur général des bibliothèques
Nadine Vasseur, directrice de festival, auteur
Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie Française